2éme Congrès du CNOM - Oct 2015 - Discours du Président P.BOUET

Discours du Président Patrick Bouet

Monsieur le Premier ministre, Chers confrères, Chers partenaires de la santé,

Je suis très heureux de vous accueillir dans le cadre ce deuxième congrès de l’Ordre des médecins, Monsieur le Premier ministre. Je vous remercie de nous faire l’honneur de votre présence. Il y a tout juste un an, le Président de la République, à votre place, saluait notre institution et s’adressait à tous les médecins de France, confrontés, selon ses propres mots, « à toutes les situations, à tous les milieux sociaux, à toutes les souffrances, à toutes les fragilités ». Monsieur le Premier ministre, vous êtes aujourd’hui parmi nous, devant 900 élus de l’Ordre, devant nos collègues des représentations professionnelles, devant les représentants des autres Ordres des professions de santé, de l’Université et des Ordres européens, devant les jeunes médecins, devant les représentants des usagers et les acteurs du monde de la santé. C’est, je le crois, la première fois depuis votre arrivée à Matignon que vous vous exprimez officiellement devant des médecins. Si vous avez choisi pour cette intervention le congrès de l’Ordre, ce n’est sans doute pas un hasard. Je veux y voir une preuve de l’importance retrouvée et du rôle reconnu de notre Institution. Mais après une année de tensions, de débats, de désaccords, n’ayons pas peur de le dire, votre venue aujourd’hui est aussi la reconnaissance de l’indépendance de l’Institution ordinale.

Cette indépendance, c’est l’essence même de la mission de l’Ordre :

  • Indépendance vis-à-vis des pouvoirs politiques. L’Ordre agit au service des médecins, de tous les médecins, dans l’intérêt des patients, de tous les patients. L’Ordre s’exprime dans le respect de nos Institutions, avec force et fermeté, sur ce qui lui apparaît nécessaire au regard de la déontologie et de l’éthique.
  • Indépendance vis à vis de tous les syndicats professionnels, qui jouent un rôle fondamental dans notre démocratie, vous le savez, vous qui souhaitez, au côté du  Président de la République, relancer le dialogue social. Je le rappelle avec force, l’Ordre n’est pas un syndicat.
  • Indépendance enfin vis-à-vis des pouvoirs économiques et notamment vis-à-vis des industriels. L’Ordre a le devoir d’assurer la transparence et de garantir aux patients que l’exercice médical se fait en toute indépendance. Nous voulons voir aussi dans votre venue le signe que les pouvoirs publics entendent les difficultés auxquelles les médecins font face. Qu’ils comprennent le besoin d’écoute d’une profession qui se sent depuis plusieurs années incomprise, attaquée, voire abandonnée par les responsables politiques.
Votre discours est un moment attendu. Nous souhaitons qu’il marque le signal fort d’un dialogue retrouvé entre les responsables politiques et les médecins. Nous venons tous ensemble de regarder un film, celui de la campagne que l’Ordre a lancée le 2 octobre et qui porte un message fort : « MEDECINS …… Notre engagement, c’est pour la vie ». Lancer une campagne de valorisation de la profession est une première dans l’histoire de l’Ordre et, croyez-moi, nous n’avons pas pris cette décision à la légère.

Le temps était venu d’agir car nous avons senti le malaise profond de nos collègues. Un malaise si profond qu’il nous est apparu urgent de rappeler les valeurs qui nous unissent et le serment qui nous lie.
  • Urgent de parler au nom de tous les médecins, pour montrer, démontrer, raconter, révéler parfois la réalité de cette profession si particulière.
    Urgent de réaffirmer sa contribution au progrès de la société. Ce film a rassemblé. Il a suscité l’adhésion de la profession dans son ensemble. Parce qu’en s’attachant à montrer l’exercice de la médecine au quotidien, il met en avant les valeurs qui guident l’action des médecins, de tous les médecins, qu’ils soient libéraux, hospitaliers ou salariés, qu’ils exercent en milieu rural ou urbain. Parce que tous les médecins partagent des valeurs communes : la compétence médicale, l’éthique, le dévouement, le sens du service public et du service au public, l’action au service du lien social…
     
Etre médecin, c’est d’abord une vocation.

Etre médecin, c’est ensuite un engagement au service du bien commun et de la société.

Être médecin c'est répondre aux exigences de l’éthique et de la transparence.

Etre médecin, c’est enfin une mission scientifique et humaine, de rigueur et d’écoute, d’expertise et d’empathie.

Il y a pourtant aujourd’hui un double décalage entre l’excellente image qu’ont les patients de leur médecin, l’engagement des médecins dans leur métier et la perception que leur renvoient les politiques. D’abord parce que les médecins ont le sentiment que les pouvoirs politiques se contentent de leur imposer des décisions technocratiques éloignées de leur pratique professionnelle. Contrainte plutôt que confiance, arbitrages avant la concertation. Cette méthode ne peut que susciter l’amertume et l’incompréhension. Ensuite parce que les médecins se voient mis en accusation sur les coûts qu’ils engendreraient. Comme tous nos concitoyens, ils connaissent les contraintes économiques. A-t-on oublié ce que les progrès de la médecine, ce que la qualité des soins, ce que la prévention au quotidien font « gagner » à notre société. A-t-on oublié que lorsqu’on soigne, lorsqu’on soulage, lorsqu’on sauve, on n’économise pas une vie. On permet la vie, on la rend plus heureuse, on lui donne de l’espérance. Soigner ne sera jamais un acte financier. Les médecins sont également convaincus que les politiques ne perçoivent pas les contraintes, les complexités et surcharges administratives, réglementaires, économiques qu’ils rencontrent quotidiennement dans leur exercice. Pour eux, pas de choc de simplification, mais chaque jour le poids toujours plus lourd de la complexification. Les médecins, enfin, regardent l'avenir avec inquiétude. Ils craignent de nouveaux accrocs aux règles fondamentales de l’exercice médical et notamment à la garantie de leur indépendance, de la liberté de choix des patients, du secret médical.

C’est dans ce contexte, déjà lourd, et depuis plusieurs années que la loi de santé a, vous le savez, cristallisé les mécontentements. Depuis 2013, la position de l’Ordre n’a pas varié sur cette loi. Nous en avons toujours reconnu les avancées, notamment en matière de prévention.

Mais nous avons aussi tout de suite alerté les pouvoirs publics sur les dispositions de la loi qui nous inquiétaient :
  • la gouvernance dans les régions,
  • l’exercice de la démocratie sanitaire,
  • la protection des contenus métiers,
  • les besoins de santé exprimés dans les territoires.
Nous n’avons eu de cesse de souligner les risques d’un texte portant dans son esprit la philosophie d’une médecine administrée, sans contre-pouvoirs dans les régions et territoires
Sur le tiers payant, l’Ordre des médecins a exprimé des exigences claires sur la nécessité de le rendre progressif et partagé, Sur la définition de ses modalités de développement, le tiers payant ne doit pas compliquer la vie des médecins, ni renforcer le pouvoir de l’Assurance-maladie ou des assureurs ! Ces exigences, inscrites dans la loi, devront être respectées et nous y serons vigilants. Nous avons souvent pris la parole dans le débat public, défendu nos positions, en toute indépendance, conformément à nos missions et à nos valeurs. Cela a pu surprendre, cela a bousculé, cela nous a valu des portes qui se ferment, mais il faut s’y habituer, l’Ordre est revenu dans le débat public. Dans ce débat, l’Ordre sera toujours là pour défendre la liberté de choix des patients, la liberté d’installation et d’exercice des médecins, leur indépendance.

Monsieur le Premier Ministre, vous n’aimez pas la langue de bois, et vous allez bien sûr dans quelques instants vous exprimer. Ce Congrès se tient dans le respect dû à votre fonction, dans l’écoute. Si nous avons été en désaccord, il nous faut aujourd’hui dépasser ces clivages pour servir l’intérêt général. Nous devons aller plus loin que la Loi santé, et construire ensemble la réforme de fond dont notre système de santé a besoin car demain concentre les orages et les défis.
Depuis mars 2013, l’Ordre alerte les pouvoirs publics sur la nécessité de relancer une concertation sur l’avenir du système de santé.
Car cette loi ne répond pas aux enjeux d’avenir.
Notre système de santé doit être profondément repensé, les médecins le savent et ils le disent très clairement. Il y aura une réforme durable du système de santé, lorsque objectifs et moyens seront partagés. L’évolution doit se faire mais elle ne se fera que par l’adhésion de ceux qui en sont les piliers et les garants, c’est à dire les médecins. Depuis plusieurs mois, l’Ordre des médecins a souhaité recréer les conditions d’un consensus.
C’est l’objectif principal de la grande consultation que nous avons lancée depuis septembre.
16 réunions en régions avec les médecins,
15 table-rondes avec tous les acteurs institutionnels,
une enquête auprès du grand public
et puis surtout un questionnaire auprès de tous les médecins.
 
Tous ces débats donneront lieu à un rapport rédigé à la fin de l'année, avec une ambition : Servir de base à la réflexion sur la réorganisation du système de santé. Il est bien sûr trop tôt pour faire le bilan de cette consultation de grande ampleur. Mais les premières réunions organisées dans toutes les régions de métropole et d’Outre-mer, et les échanges animés qui s'y sont tenus, me permettent déjà d’avancer quelques pistes de réflexion. Croyez-moi, les médecins que nous rencontrons ne se privent pas de nous dire ce qu'ils ont sur le cœur !
Et ils attendent de vraies réponses, des réponses politiques sur trois sujets essentiels :
  • Le 1e sujet est celui de leurs conditions d’exercice, de la question fondamentale du temps médical, de la coordination et l’indépendance professionnelle. La première urgence est de définir avec les médecins les conditions acceptables et équilibrées de leur exercice quotidien.
  • Le 2e sujet qui ressort de ces premiers échanges concerne l’organisation territoriale des soins. Quelle organisation territoriale adopter ? Quelle place et quel rôle du médecin dans les territoires ? Comment éviter les modèles nationaux et innover localement ? La deuxième urgence est donc de réinvestir chaque territoire, d’identifier les problématiques de la population afin de répondre au mieux aux besoins de santé et de prévention
  • Le 3e sujet abordé est celui de la formation. Aucune loi santé aujourd’hui ne peut faire cette impasse. Il est essentiel d'instaurer des études professionnalisantes. Les étudiants doivent découvrir très vite toutes les formes d'exercice afin de faire un choix raisonné au moment de leur internat. En effet, au terme du cursus universitaire, nous constatons que 25% des étudiants en médecine font autre chose que le métier pour lequel ils ont été formés. La troisième urgence est donc de repenser entièrement la formation en fonction de l'évolution de l'organisation des soins, des enjeux territoriaux et des nouveaux modes d'exercice. 5 Nous vous proposons donc aujourd’hui d’aller plus loin, ensemble, en construisant le système de santé de demain. Nous devons, pour cela, établir des conditions préalables de dialogue et d’écoute. Les médecins y sont prêts, leur Ordre y est prêt. Monsieur le Premier Ministre, le moment est venu de relancer les bases du dialogue. Si ce dialogue est basé sur la confiance, si les enjeux sont partagés, alors nous pourrons ensemble faire des propositions fortes pour moderniser, transformer et rendre plus équitable le système de santé français.
Pour construire enfin la réforme attendue que nous appelons tous de nos vœux. Parce que les médecins l’attendent. Parce que nos concitoyens l’attendent. Parce que la santé est un droit fondamental au cœur du pacte républicain. Parce que les médecins ne sont pas frileux. Parce que sans médecin, il n’y a tout simplement pas de système de santé, C’est devant ces acteurs, engagés, responsables, mobilisés, que vous allez maintenant vous exprimer.
Monsieur le Premier Ministre, ne les décevez pas !