La médecine au temps de Molière


Dr X. Grapton


« La Saignée » A. Bosse 1635


Au XVIIème siècle, les médecins apprennent leur métier essentiellement dans les livres, ils suivent des cours en faculté et n’ont que peu de contact direct avec le patient.
L’enseignement comprend l’étude de la diététique, de l’hygiène, de
la physiologie, de la botanique, des pathologies et des traitements. En France, pour être médecin, il faut être catholique, savoir le latin et être Maître es arts (diplôme dispensé par la faculté des lettres).
Le médecin qui n’a que peu de connaissance anatomique ne s’occupe que des soins externes laissant au chirurgien, qui n’est pas
médecin, le monopole des traitements internes.
Les médecins exercent essentiellement en ville où seuls 20% des français habitent ; le reste de la population a affaire à des rebouteux. 


« Le Chirurgien-Barbier » D. Teniers le Jeune 1670

Au XVIIème siècle, on note un recul des pratiques hygiéniques (afin que les humeurs ne soient pas déséquilibrées, puisque la peau est censée être perméable). Aussi n’est-il pas indiqué de se laver : on se contente d’une toilette sèche et on masque les odeurs par
des parfums.
Le manque d’égouts, les immondices jonchant les rues, les eaux usées qui s’infiltrent dans le sol polluant les nappes phréatiques qui alimentent les puits sont sources d’épidémies.

Au temps de Molière, les remèdes sont constitués de potions ou de drogues à base de poudres de pierre.
Les traitements sont réduits à des saignées, des clystères et des purges.


« L’Homme à la seringue »
 Ecole espagnole

- Les philosophes qui ont marqué le XVIIème siècle :

F. Bacon (GB) philosophe expérimentaliste ; il découvre les lois de la nature et les phénomènes non perceptibles se fondant sur les comparaisons et les exclusions.
B. Spinoza (PB) principal représentant du rationalisme qui pose la raison discursive comme seule source de toute connaissance.
R. Descartes mathématicien, physicien et philosophe ; fondateur du mécanisme (lien entre causes et effets) ; il est à l’origine de la géométrie analytique ; il reconnaît le rôle important de la cellule dans la formation des organismes ; il propage la découverte de la circulation sanguine, étudie le rôle du suc gastrique et établit une théorie sur la vision en faisant des capillaires le vecteur des phénomènes de nutrition. Il fait du cerveau le siège de toutes nos facultés intellectuelles et morales, organe de la pensée et du sentiment. Son « cogito » marque la naissance de la subjectivité.
N. Malebranche moine philosophe rationaliste « il n’y a rien qui, pensé comme il faut, ne nous ramène à Dieu »
T. Hobbes (GB) philosophe convaincu de la nature corporelle de la substance, rejetant l’idée cartésienne de substance spirituelle ou immatérielle.
B. Pascal mathématicien, physicien, philosophe. Il étudie les fluides, clarifie les concepts de pression et de vide (il invente la seringue). Il invente également la première machine à calculer. Il est le père de la géométrie projective, du calcul des probabilités, des traités sur
les sons.
 Après une expérience mystique (1654), il se consacre à la réflexion religieuse. 

- Les Médecins anatomistes renommés :

R. Hooke (GB) démontre la circulation du poison urticant de l’ortie.
M. Malpighi (I) médecin naturaliste fondateur de l’histologie.
T. Willis (GB) neuro-anatomiste.
T. Renaudot médecin journaliste.
W. Harvey (GB) démontre expérimentalement le rôle de la circulation sanguine.
T. Sydenham (GB) après des études à Montpellier, travaille sur la peste bubonique et la
variole, il utilise largement le Laudanum et publie un traité sur la prise en charge de l’arthrite ;
il fait en outre la distinction entre goutte, RAA et PR. Il s’intéresse également à la psychiatrie.
Valsava décrit les valves aortiques et travaille sur l’anatomie de l’oreille.

« La Leçon d’Anatomie du Dr Tulp »
 Rembrandt 1632

- Les Rhumatisants célèbres :

P. Scarron (écrivain et époux de la future Mme de Maintenon) atteint d’une SPA

« Moi qui suis dans un cul de jatte
 Qui ne remue ni pied, ni patte
 Et qui n’ai jamais fait un pas
 Il faut aller jusqu’au trépas ».

J. de la Fontaine : goutteux.
P. Rubens souffrant de saturnisme et probablement d’une PR.
Mme de Sévigné, qui présente tous les symptômes indiquant qu’elle est atteinte d’une PR nous dit :
« Un rhumatisme est la chose du monde la plus ennuyeuse et la plus douloureuse ».
W. Shakespeare écrit « Toi, glaciale sciatique, estropie nos sénateurs afin que leurs membres perclus clochent comme leurs mœurs ».
Henry IV « au diable cette goutte, ou cette vérole ! car c’est l’une ou l’autre qui fait des siennes dans mon gros orteil » (car la syphilis venait récemment d’être introduite en Europe)

- Descartes et la Médecine

Dans la VIème partie du Discours de la Méthode, il affirme la possibilité de trouver à partir « des notions générales touchant la physique » et en procédant par ordre et méthode« des connaissances qui soient fort utiles à la vie. Or cette maîtrise… est à désirer… pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie ». La médecine se trouve ici placée aux côtés des arts mécaniques en tant qu’application légitime de la physique, elle est adossée à celle-ci et fondée comme elle sur les démonstrations. Cependant l’auteur étend la médecine au-delà de sa nature mécanique et formule l’idée d’une causalité de l’âme sur le corps où prennent leur source les maladies inaugurant ainsi l’idée d’une médecine psychosomatique. 

- Pascal agonisant (1662)

« Je connais le danger de la santé et les avantages de la maladie. Ne me plaignez point. La maladie est l’état naturel des chrétiens, parce qu’on est par là comme on devrait être toujours, c’est-à-dire dans les souffrances, dans les maux, dans la privation de tous biens et de tous
plaisirs des sens, exempt de toutes les passions, sans ambition, sans avarice et dans l’attente continuelle de la mort »
« L’état morbide est un mal salutaire, un don, une chance pour le chrétien d’être reconnu comme disciple et une occasion de glorifier le Seigneur »

- Molière et les Médecins :

Molière du fait de son amitié avec J.A. de Mauvillain et F. Bernier, médecins, est suffisamment informé sur les usages médicaux de son époque.
• Dans « M. de Pourceaugnac », le lumineux galimatias du premier médecin est en fait une description clinique parfaite de l’hypochondrie.
Molière sait la médecine tâtonnante, livresque et hostile aux méthodes nouvelles d’où sa méfiance à son égard. C’est par la farce qu’il dénonce l’imposture de cet art en caricaturant les médecins de son temps pédants, cupides et incompétents.
• Dans « Le Malade imaginaire », T. Diafoirus soutient une thèse allant à l’encontre des découvertes de Harvey et Toinette de dire « Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Il faut boire votre vin pur et vous épaissir le sang qui est trop subtil »

« Le Malade Imaginaire »

• Dans « Le Médecin volant », Molière raille le discours grotesque mais réputé sérieux de la science médicale.
Valère à Sganarelle : « Gorgibus est un homme simple, grossier qui se laissera étourdir de ton discours pourvu que tu parles d’Hippocrate et de Galien et que tu sois un peu effronté ».
• Dans « Le Médecin malgré lui », l’auteur se moque de l’usage déraisonné du latin d’où l’impossibilité pour le patient de vérifier les dires et les actes du médecin qui passe pour un grand savant auprès des crédules.
« Vous n’entendez point le latin ! Cabricias arci thuram, catalamus, singulariter, nominativo hæc Musa, bonus, bona, bonum, Deus sanctus, estne oratio latinas ? »
• Dans « L’Amour médecin », on voit les praticiens incapables et cupides se quereller au chevet du malade.
Lisette : « J’ai connu un homme qui prouvait par de bonnes façons qu’il ne faut jamais dire : une belle personne est morte d’une fièvre et d’une fluxion sur la poitrine mais : elle est morte de quatre médecins et de deux apothicaires ».
Sganarelle : « Hippocrate dit et Galien par de vives raisons persuade qu’une personne ne se porte pas bien quand elle est malade »
Cependant le médecin garde un statut dans la société du XVIème siècle.
• Dans « Le Malade imaginaire », Beralde : « L’on n’a qu’à parler avec une robe et un bonnet, tout galimatias devient savant et toute sottise devient raison ». « Faites vous médecin, je vous donne ma fille ».
• Dans « Dom Juan », Sganarelle : « C’est l’habit d’un vieux médecin… je l’ai pris … mais savez-vous Monsieur que cet habit me met déjà en considération ! »
Dom Juan : (les médecins) « Ils n’ont pas plus de part que toi aux guérisons des malades et tout leur art est pure grimace ».
Le médecin est souvent dépeint comme orgueilleux, méprisant et usant d’un arsenal thérapeutique limité et identique quelle que soit la pathologie.
• Dans « Le Malade imaginaire », Argan (comment soigner ?) : « Clysterium donare, posta seignare, ensuitta purgare » (et si le malade ne guérit pas) « Clysterium donare, postea seignare, ensuitta purgare, reseignare et repurgare ».