I. L’Etat sanitaire en 1789
Si les grandes épidémies ont disparu, la variole sévit à grande échelle et les maladies vénériennes prolifèrent. Rougeole, rubéole et typhoïde sont fréquemment rencontrées mais l’essentiel des maladies provient de la pauvreté et de la malnutrition.
La mortalité néonatale et des parturientes est importante et la mortalité infantile peut atteindre 20% selon les régions.
De mauvaises récoltes depuis 1778 et des hivers rigoureux ont entrainé une hausse considérable des prix (+75% pour le pain). Les denrées de première nécessité : pain, farine, légumes, viande, beurre, sucre et vin, deviennent rares d’où le pillage des entrepôts. Bois, charbon et chanvre viennent à manquer. La paysannerie se trouve dans la misère (la viande n’est mangée que les jours de fête et le sucre qu’en cas de maladie), de plus elle est soumise à de lourds impôts (le champart = ¾ des revenus prélevés par le seigneur, les impôts sur le sel et le vin, la corvée, les lods et ventes, les impôts à payer au Roi et au Clergé).
L’hygiène est déplorable, les ordures jonchent le sol boueux des rues, les immondices sont jetées par les fenêtres et une odeur fétide se dégage de certains quartiers.
Cependant quelques membres du corps médical militent pour remédier à cette situation et la protection sociale et sanitaire se construit peu à peu. Mais hélas, l’action révolutionnaire accorde une place plus importante à la citoyenneté politique qu’à la citoyenneté sociale consolidant ainsi les phénomènes d’exclusion et d’extrême pauvreté. Les distributions de « boîtes de secours » de médicaments et de vivres se font irrégulièrement en raison d’une prise en charge insuffisante et non coordonnée par les paroisses, les communautés de villes et les états provinciaux.
Déjà en 1776 Le Brun (médecin à Meaux) souhaitait une participation de l’Etat à la construction de magasins à grains, la surveillance des végétaux alimentaires, boissons et médicaments, l’incinération des cadavres et déchets suite aux épidémies, la réglementation des abattoirs.
Le Dr. Guillotin créé un Comité de Salubrité en 1790 dont la fonction est de rédiger un plan de constitution de la médecine en France. Ce rapport avait trait essentiellement à l’enseignement de l’art de guérir.
En 1791, ce texte fut étoffé : le titre IX intitulé « Agence de secours et de salubrité » créait dans chaque chef-lieu une agence composée de 9 membres dont 4 médecins devant s’occuper des aliments de toute espèce, eaux et vins, de la surveillance des épidémies, des soins des asphyxiés et noyés, des eaux minérales, drogues et médicaments, de la suppression du charlatanisme, de la surveillance des sépultures, marais, égouts, boucheries et abattoirs, de la salubrité des maisons de correction, prisons, hôpitaux et hospices.
Talleyrand rapporteur du projet sous la Constituante le saborda. La Législative en un an d’existence n’eut pas le temps de s’y consacrer et la Convention occupée par la guerre, les difficultés financières et les troubles intérieurs évita le sujet. Ce n’est que sous le Directoire que les notions d’hygiène publique se répandent de nouveau et sous l’Empire en 1801 que les campagnes de vaccination et de réglementations établissements insalubres virent le jour.
II. L’Enseignement de la Médecine au 18ème Siècle
Il était demandé aux candidats aux études médicales d’être titulaire d’une maîtrise en arts pour suivre un cursus de 4 ans sanctionné par 4 examens. Puis suivaient 2 ans ½ de licence se terminant par 4 thèses. Enfin une dissertation médicale clôturait la cérémonie de doctorat en médecine.
La Révolution mettra fin à tout ce processus. En effet en mars 1791, la Convention autorise toute personne à exercer toute profession de son choix ; ainsi les professions de médecins et pharmaciens disparaissent. La loi Le Chapelier impose l’anéantissement de toutes les corporations et en août 1792 des facultés de médecine. En Août 1793, la Convention ferme toutes les académies et sociétés savantes. Il s’en suit une catastrophe sanitaire et la prolifération de charlatans d’autant que les blessés militaires et civils arrivent en masse dans les hôpitaux. Dès lors, afin d‘éviter le pire, tous les soignants doivent subir un contrôle des connaissances devant les conseils municipaux des villes.
En novembre 1794, Fourcroy invoque les besoins de l’armée en médecins puis instaure la création de trois écoles de santé pour militaires à Paris, Strasbourg et Montpellier. Le Directoire puis le Consulat en ajouteront 3 autres (Turin, Mayence et Gênes). En 1803, les examens sont rétablis, les écoles de médecine deviennent facultés et sont incorporées à l’Université Impériale en 1806 avec un enseignement axé sur la pratique plus que sur la théorie. Les diplômes deviennent nationaux.
En 1803, Fourcroy est rapporteur d’une loi stipulant que seuls les docteurs en médecine et chirurgie ainsi que les officiers de santé peuvent exercer la médecine. Pour devenir médecin, les études durent 3 ans sanctionnées par 5 examens dont 2 en latin suivis d’une soutenance de thèse. Pour accéder au titre d’officier de santé, le candidat doit passer 4 ans de pratique à l’hôpital puis 3 examens en français. Les médecins peuvent exercer sur tout le territoire, les officiers de santé uniquement dans leur département.
Chaptal créé les grades d’externes et internes nommés par concours dès 1801 (taux de succès à l’internat : 10 à 15%).
Dans la Faculté de médecine de Paris, les enseignants sont proches du pouvoir :
Corvisart (médecin de l’Empereur) chargé des cours pratiques ; Pinel chargé des cours magistraux ; Fourcroy (conseiller d’Etat) de la chimie et de la pharmacie ; Baudelocque des arts de l’accouchement ; Cabanis (sénateur) ; Percy (inspecteur général) chargé de la pathologie externe. Sont enseignées la chimie, la pharmacie, l’anatomie, la physiologie, la médecine opératoire, la médecine légale, l’histoire naturelle, la physique, l’hygiène, les pathologies internes et externes, la pratique des accouchements.
L’enseignement des officiers de santé a lieu dans les hôpitaux militaires où les inspecteurs généraux nommés par le 1er Consul vérifient leurs connaissances.
III. Les médecins révolutionnaires
Sur 1145 députés siégeant à la Constituante, on compte 21 médecins, ils appartiennent au Tiers Etat.
Voici les plus célèbres :
- Cabanis : médecin, philosophe, membre de l’Institut, défenseur du sensualisme et de l’athéisme. Lié à Mirabeau et à Condorcet, il est inquiété pendant la Terreur mais épargné pour les soins gratuits qu’il dispense aux nécessiteux. Il approuve le coup d’Etat du 18 Brumaire et participe à la Constitution de 1799. Estimant qu’elle est bafouée, il s’éloigne du pouvoir et entre à l’Académie française. Napoléon l’anoblit avant sa mort.
- Marat : médecin et physicien, il s’intéresse à la lumière et à l’électricité comme soins. Disciple de Rousseau, il combat Voltaire. En 1789, il publie le « Moniteur patriote » critiquant la Constitution qu’il voudrait semblable à la Constitution britannique. Puis, il publie « l’Ami du Peuple » contre les riches et les parvenus, contre les impôts et surtout contre l’esclavage. Puis il se radicalise prônant l’élimination des royalistes emprisonnés et appelle à la généralisation des massacres. Député de Paris à la Convention en 1792, président des Jacobins en 1793, il appelle à l’insurrection. Diabétique, atteint d’une dermite herpétique ou de la gale, sa maladie dermatologique s’étend à tout le corps l’obligeant à des bains constants à base de soufre.
- Antoine Louis : physiologiste, chirurgien à la Salpêtrière, son rôle de médecin légiste fut déterminant dans l’affaire Calas. Il est l’un des contributeurs à l’Encyclopédie. Il étudie l’accouchement par forceps, décrit le lupus et modifie la machine préconisée par le Dr. Guillotin sous le nom de la « Louison ».
- Guillotin : fait des études de théologie avant d’étudier la médecine. Il exerce en cabinet avec Marat. Membre du Grand Orient de France, il quitte ses activités maçonniques pendant la Révolution. S’inspirant des théâtres anatomiques, il suggère que les élus du peuple se réunissent dans un hémicycle. Il devient secrétaire de la Constituante et propose une réforme du droit pénal. L’utilisation d’un appareil mécanique pour l’exécution de la peine capitale lui paraît une garantie d’égalité car les nobles étaient décapités au sabre, les roturiers à la hache, les régicides et criminels écartelés, les hérétiques brûlés, les voleurs pendus et les faux monnayeurs bouillis. Son idée est retenue et afin d’éviter toute torture, la loi est promulguée en octobre 1791. L’appareil est mis au point avec l’aide d’Antoine Louis et C.L. Samson, bourreau officiel. Désolé de son impuissance à sauver quelques victimes, il quitte Paris pour ne se consacrer qu’à la médecine et à la propagation de la vaccination contre la variole. Sous le Consulat, il sera chargé d’installer un programme de santé publique en France.
Les Médecins contemporains :
- J. Etienne Esquirol, aliéniste
- F. Broussais, chirurgien
- G. Laennec, inventeur du stéthoscope
- D.J. Larrey, père de la médecine d’urgence
- J. Parkinson, neurologue anglais
IV. L’Hôpital Général en 1789.
Deux exemples : Bicêtre et la Salpêtrière Il s’agit d’une institution fondée en 1630, dirigée par un ordre laïc, la Compagnie du Saint Sacrement, afin de défendre la morale et lutter contre le protestantisme. Derrière ce parti de dévots se trouvent le Parlement de Paris, la noblesse de robe, les riches privilégiés. Leur vision de la pauvreté est répressive et moraliste (les indigents, mendiants et vagabonds sont des faignants qu’il faut enfermer et punir).
Les directeurs de l’Hôpital Général sont autonomes, leurs ressources sont considérables (taxes sur les théâtres, le commerce du vin et du bois, le leg obligatoire des internés décédés).
Mais en 1789, l’Hôpital Général est ruiné suite aux dépenses somptuaires des directeurs non contrôlés, d’une administration nombreuse et surpayée, de détournements, de marchés truqués…
A Paris, l’Hôpital Général compte une dizaine d’établissements et un dans les principales villes du pays. Il y abrite les pauvres, les mendiants, les voleurs, les handicapés, les prostituées, les aliénés, les enfants abandonnés et les syphilitiques.
Il ne faut pas confondre l’Hôpital Général à la nature carcérale, manufacturière et conventuelle avec l’Hôtel Dieu installé dans plus d’une cinquantaine de villes, administré par l’Eglise, ayant pour vocation le soin et l’accueil des orphelins, indigents et pèlerins. L’Hôpital Général transfert à l’Hôtel Dieu les malades, hormis les vénériens, puisqu’il ne dispense pas de traitements.
Bicêtre : par manque de place prisonniers, pauvres et malades sont mélangés. On entend hurlements et tintement de chaines. « Privé de pain, les corps squelettiques des hommes de tous âges, encagés, les pieds dans leurs excréments, les cheveux pleins de puces, galeux, teigneux se meurent ». Les vieillards entassés dans les salles basses sans feu l’hiver, à 6 ou 8 sur des paillasses humides se disputent les aliments. « Les aliénés, y compris les idiots, les épileptiques et les enfants infirmes, les fers au cou, aux mains et aux pieds sont privés de lumière et de feu ». Ils croupissent couverts de fange dans des loges humides à la merci de leurs infirmiers.
A la correction de Bicêtre, les petits prisonniers sont fouettés, affamés et abusés.
Restif de la Bretonne qui y a séjourné a laissé un témoignage glaçant sur la pédophilie dans cette enceinte.
En effet depuis 1750, des enlèvements d’enfants ont lieu à Paris avec un trafic dont une étape pouvait être Bicêtre. Cette prostitution enfantine en particulier au Palais Royal était très lucrative et couverte par la police…
En 1790, l’Assemblée charge F. de la Rochefoucauld-Liancourt de faire un rapport sur l’Hôpital Général. Il y détaille crûment la misère et les violences qui y sévissent.
La Salpêtrière : sous l’Ancien Régime, est un lieu d’exclusion et de punition pour les femmes.
Louis XV en fait don à l’Hôpital Général en 1656 pour y accueillir les enfants sans ressource, puis les mendiants qui ont l’obligation de passer par l’Hôpital Notre Dame de la Pitié afin d’y être nourris, logés, instruits et « employés aux ouvrages ». En cas de refus, ils sont fouettés ou envoyés aux galères pour les hommes, aux bains pour les femmes.
En 1684, les femmes débauchées y sont admises après qu’elles aient été jugées au Grand Chatelet et promenées en charrette à travers les rues de Paris.
Progressivement la Salpêtrière reçoit orphelins, pauvres, infirmes, vieillards mais aussi prostituées, folles, voleuses, blasphématrices. Un bâtiment dit « La force » est composé de cellules de 2 m/1,5 m avec lucarne à barreaux pour enfermer les « folles » ou les débauchées dangereuses.
De nombreux bâtiments sont construits, les loges, pour accueillir les aliénées « folles furieuses » non guérissables, les « folles violentes », les « imbéciles » et « folles séniles ». Certaines sont enchaînées.
Manque d’hygiène, complots, tortures y sont habituels jusqu’en 1792 où la Salpêtrière-prison se transforme en hôpital après la démission de l’Hôpital Général.
Les contagieux sont isolés, les troubles neurologiques y sont soignés et en 1807, Pinel fait enlever leurs chaînes aux aliénées.