Ou la douloureuse histoire de l’hôpital Notre Dame du Perpétuel Secours à Levallois
Dr Joël BARDEL Août 2021
Nous l’avons vu précédemment(2), en 1879 est érigé le British Hertford, cet hôpital-château victorien néogothique, de la volonté du dernier descendant de lords d’Angleterre et d’Irlande venus une fois la Pax Britannica établie, s’encanailler à Bagatelle et développer le commerce d’Art à Paris.
L’hôpital Notre Dame du Perpétuel Secours, lui, est construit en quelques mois : premier coup de pioche le 17/06/1885, entrée des sœurs dominicaines dans les lieux le 21/11/1885 et inauguration le 26/11/1885 présidée par Mgr Richard Archevêque de Paris. Construction rapide d’un édifice en bois, hôpital-couvent, d’où avait été également envisagé un enseignement catholique privé, en externat, centré par une chapelle cruciforme. Au pied de la croix rue Kléber les pièces réservées au médecin et à l’interne, puis la nef des fidèles, le chœur des religieuses, et les deux bras de croix. A droite, vers la rue de Villiers la salle Saint Dominique pour les hommes, à gauche vers la rue Chaptal la salle Sainte Catherine pour les femmes. « Un corridor vitré sépare ces deux salles de la Chapelle, et les malades peuvent voir de leur lit la lampe du sanctuaire et le tabernacle où réside l’Hostie sainte… protestation silencieuse et éloquente contre la rage des laïcisateurs à outrance »(3). Cet hôpital sera construit sur une parcelle d’un Ha, dans le lotissement précédemment décrit et aménagé par Jean-Jacques Perret, vers l’ancien hameau de Villiers-La-Garenne, bordant l’ancien château de Louis Philippe victime du feu révolutionnaire en 1848.
Nous sommes aux débuts de la République, il faut « expulser Dieu des écoles, des hôpitaux, des prétoires »(4) par la laïcisation des personnels et des lieux.
Depuis la loi Falloux de 1850 l’instruction dans les écoles publiques ou privées peut être dispensé par un personnel congréganiste ou laïque. Avec la loi Jules Ferry de 1882 l'instruction primaire obligatoire participe à laïciser l’enseignement public.
Sous le second Empire presque tous les hôpitaux disposaient d’un personnel congréganiste pour les tâches administratives et de surveillance des soins, les tâches de pansements et de ménage étant assurées par un personnel laïque inculte et sous payé. De nombreux reproches sont adressés aux surveillantes congréganistes : elles outrepassent les directives des médecins, n’en font qu’à leur tête en matière de pharmacopée, pensent plus aux âmes qu’aux corps, leurs cornettes, scapulaires et soutanes sont antihygiéniques… Sous l’impulsion du Dr Bourneville, aliéniste des hôpitaux de Paris et libre penseur sont créées les écoles d’infirmières : Bicêtre et La Salpêtrière en 1878, La Pitié en 1881, Lariboisière en 1895. Les lois de 1880 achèvent la laïcisation des établissements hospitaliers publics. La réaction ne se fait pas attendre :
Hôpital Saint Joseph en 1878, à l’initiative de Monseigneur d’Hulst, avec le projet, qui n’aboutira pas, de créer une faculté libre de médecine. Les Sœurs de St Vincent de Paul y soignent les malades et aussi dirigent les services généraux jusqu’en 1958.
Hôpital Notre Dame du Perpétuel Secours à Levallois-Perret en 1885…
Venons-en aux promoteurs de cet hôpital, personnalités du clunysois et du Vexin.
La famille Bonnardel(5) : depuis le XVIe siècle qui les voit installés à Condrieu au bord du Rhône au sud de Vienne, les Bonnardel sont des gens du négoce fluvial. Jusqu’en 1870 l’histoire de cette famille s’est maintenue dans le cadre de l’économie régionale. Sous la monarchie de Juillet, le rail n’atteignant pas Lyon, le danger n’est pas immédiat, les frères Bonnardel apparaissent peu sur la scène publique. C’est la décade 1855-1865 qui est pour eux, et pour la navigation lyonnaise, la décade décisive : la concurrence du rail (Freycinet) entraîne une chute considérable du trafic fluvial. Cette famille fidèle à la monarchie, catholique conservatrice ayant eu un prêtre réfractaire sous la Révolution, s’étiole. En 1807 elle a acquis puis restauré le château de Chassignolles à Bonnay en Saône et Loire, à 15 km de Cluny, le cœur de la spiritualité en Europe. Ce château sera vendu en 1872, le produit de la vente servant pour partie à financer la construction d’une nouvelle église de Bonnay, où figure une sculpture d’Hippolyte Bonnardel, l’un de 7 enfants de la famille, disparu prématurément de démence et de fièvre typhoïde. Dans la fratrie il y a également un médecin, deux prêtres et trois sœurs, un de ces prêtres verra de mauvais œil l’entrée au couvent des trois sœurs. C’est que ces dernières ont rencontré une moniale, Joséphine Gand en religion Mère Saint-Dominique de la Croix (1819-1907), personnage controversé, et elles fondent en 1854 à Bonnay, sur un terrain offert par le Dr François Bonnardel, la congrégation française des Dominicaines de Sainte Catherine de Sienne. Congrégation religieuse féminine enseignante et hospitalière de droit pontifical (n’ayant pas reçu l’approbation diocésienne…). elles se veulent apostoliques et pas seulement contemplatives : tout en menant une vie communautaire dans leurs couvents elles sont engagées dans des activités d’enseignement ou de soin et suivent le prosélytisme le l’inspirateur de cet Ordre. Dominique Nuñez de Guzman né vers 1170 en Espagne, et mort en 1221 en Italie, est le fondateur de l'ordre des Frères prêcheurs appelés couramment « dominicains ». Selon une légende la mère de Dominique (Dominicus en latin, ce qui signifie « celui qui appartient au Seigneur ») aurait vu en songe, pendant sa grossesse, un chien tenant une torche allumée dans la gueule pour éclairer le monde (jeu de mot, domini canis, le chien de Dieu). Il s’illustre dans sa croisade pacifique contre les albigeois.
En conflit avec l’archevêque la congrégation s’est exilée en Belgique et dès 1868, à la demande de l’Évêque local, la Congrégation fait une fondation à Tobago (Antilles anglaises). Ce sont d’abord des sœurs soignantes qui partent pour s’occuper de lépreux. Elles meurent toutes, sauf une, terrassées par la fièvre jaune dans l’année qui suit leur arrivée.
Les familles Maison-Vatimesnil : Nicolas-Joseph Maison (1771-1840) rejoint la Garde nationale d'Épinay sur Seine comme simple grenadier et finira général sous la Révolution, maréchal de France sous la Restauration, baron d’Empire, ministre des Affaires étrangères puis de la guerre sous la monarchie de Juillet. Son fils unique Joseph aura avec Diana de Domecq, décédée en 1884, deux filles, Marie-Mathilde décédée en 1886 et Isabelle décédée tragiquement en 1897.
Marie-Mathilde sera unie au baron de Mackau (1832-1918), député, conseiller général de l’Orne, monarchiste et boulangiste, puis membre d’Action libérale, le parti des catholiques ralliés à la IIIème République. Le baron de Mackau, descendant d’un lieutenant des Dragons, sera le personnage central de notre hôpital : de sa rencontre avec les Dominicaines, de leur implantation à Etrépagny, de l’idée d’un l’hôpital, de son administration jusqu’à sa mort, de son financement, jusqu’à l’organisation du Bazar de la Charité.
Isabelle sera unie à Albert de Vatimesnil en 1867, et d’un veuvage inconsolable en 1875, sur les conseils de son beau-frère, se destinera à la charité par l’accueil des Dominicaines de Mère Saint-Dominique de la Croix en leur construisant un couvent à Etrépagny dans le Vexin, puis notre hôpital. Albert était un des derniers descendants de hauts fonctionnaires qui prennent possession du fief éponyme en 1715 situé à quelques kilomètres d’Etrépagny. Non seulement elle aura perdu son mari puis sa mère et sa sœur, mais elle devra périr dans l’incendie du Bazar de la Charité, organisation caritative dont l'objet était d'assurer la vente d'objets, lingeries et colifichets divers, au profit des plus démunis et d’œuvres dont celle de l’hôpital ND du Perpétuel Secours à Levallois. Installé à Paris, le hangar disparut le 4 mai 1897après un incendie tristement célèbre causé par la combustion des vapeurs de l'éther utilisé pour alimenter la lampe d'un projecteur du cinématographe. Il fit 129 victimes, dont la plupart étaient des femmes issues de la haute société parisienne. Voir le livre de Gaëlle Nohant « la part des flammes », la série TV, la chapelle Notre-Dame-de-Consolation au 23 rue Jean-Goujon (Paris VIII) au lieu de ce Bazar dont l’incendie
Placé sous le patronage de l’Archevêque de Paris l’hôpital ND du Perpétuel secours a été reconnu d’utilité publique en 1892, et considérablement agrandi en 1899 et 1900 par des libéralités privées, de la fondation Roger-Gallet et des subventions du ministère de l’agriculture et du Pari Mutuel. Salle Saint-Maximilien et salle Sainte Geneviève (le 1er juin 1885 trois millions de français assistent à l’entrée de Victor Hugo au Panthéon, ultime affront fait aux catholiques depuis que la monarchie de Juillet a retiré l'église Sainte-Geneviève au culte catholique et lui rendu sa destination de panthéon …), une salle de consultations externes, de chirurgie, d’hydrothérapie, le pavillon Sainte-Marguerite pour les petites filles. Le rapport d’activités de 1901 rapporte plus de 6000 malades soignés depuis l’ouverture, pour cette seule année 650 admissions et 99 décès.
Parmi les médecins, le Dr Lancereaux et son élève le Pr Paulesco (travaux sur l’origine pancréatique du diabète), puis les docteurs Variot, Dumont et Huber, le Dr Hautefort qui ouvre le service de chirurgie.
En 1933 début de la formation d’infirmières diplômées d’Etat dans une école, dernier vestige attendant sa destruction, de cet ancien hôpital qui fusionné avec le Franco-britannique et qui sous l’administration de la Fondation Cognacq-Jay y verra la construction de sa nouvelle maternité et fonctionnera désormais sur un seul site.
Notre aventure Levalloisienne se termine là. Nous aurions aussi pu évoquer :
L’hospice Greffulhe fondé en 1873 sur le même lotissement, destiné « aux femmes du monde sans infirmités et privées de ressources ». Le service est assuré par la congrégation de Saint-Vincent-de -Paul jusqu’en 1990. La gestion est confiée dès 1935 à la Société Philanthropique qui, la première du lotissement de Perret, décide de la vente des terrains pour permettre la reconstruction.
L’hospice Raynaud construit en 1875 par les propriétaires de la parfumerie Oriza pour les vieillards infirmes de l’usine. La maison de retraite était sous la direction des Petites Sœurs des pauvres qui disposaient d'une chapelle et pouvait accueillir une centaine de personnes. Antonin Raynaud est enterré dans la crypte, sous la chapelle. L'hospice suspend ses activités en 1970. Les bâtiments appartiennent actuellement à la ville et au conseil général du département des Hauts-de-Seine et abritent le service départemental HLM. En 1920. Marie-Jeanne Bassot et Mathilde Girault, deux pionnières du service social français et de l’animation socio-culturelle emménagent dans l’Hôtel Raynaud. En ce lieu, se déroulera, durant plusieurs décennies une tentative d’éducation populaire complète, véritable utopie catholique à rapprocher des essais tentés par le fourriériste Godin (Familistère de Guise) et par le chocolatier Menier (Usine à Levallois, Cité ouvrière de Noisiel). Se trouve également dans ce lieu une résidence séniors.
(1)Titre emprunté à Gaëlle NOHANT Le Livre de Poche 2016
(2)BARDEL Joël https://conseil92.ordre.medecin.fr/content/fontaine-samaritaine-aux-fontaine-wallace-0
(3)MAINAGE Th. La révérende Mère Saint Dominique de la Croix Ed Pierre TEQUI Paris 1929
(4) LALOUETTE Jacqueline CNRS 1991 Centre de Recherches sur l’histoire du 19ème siècle
(5)BOUVIER Jean Une dynastie d'affaires lyonnaise au XIXe siècle : les Bonnardel. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 2 N°3, Juillet-septembre 1955. pp. 185-20