Une histoire de la médecine : La Peste

Une histoire de la médecine : La Peste



Dr X. Grapton


A l’heure où le pays est en proie à une crise sanitaire, humanitaire, sociale et économique que personne d’entre nous n’a vécue, chacun dans sa solitude a dû modifier ses habitudes, adapter ses comportements et avoir une réflexion sur le sens et les modalités de son engagement. A la lecture de ce texte émaillé de citations littéraires, nous découvrirons l’histoire et les différents visages de la Peste et vous ne manquerez pas assurément de relever quelques similitudes qui ont traversé le temps.
 


Gravure de Paul Fürst, 1656)

  • La Peste a tracé sa longue cicatrice sur la destinée de l’homme depuis l’antiquité. Il semblerait que ses origines soient situées en Asie Centrale. Cette hypothèse classique fut pourfendue récemment par une découverte proposant sa naissance dans les entrailles de l’Egypte pharaonique sur la base de la présence de rats noirs et de puces à Amrana, capitale d’Akhenaton construite en 1160 avt JC.

  Bien plus tard, on incrimina la peste lors de la guerre du Péloponnèse (430-426 avt JC) décrite par Thucydide mais il se serait agi en réalité du typhus.

Par contre, c’est bien la peste qui apparaît en Sicile parmi les Carthaginois qui assiègent

Syracuse (395 avt JC).

  On parlera de nouveau de peste, dite Antonine (165-190) décrite par Galien qui emporta l’empereur Marc Aurèle, mais ici c’est en fait la variole qui en fut à l’origine.   

  • De 541 à 767 sévissait la PESTE dite de Justinien

Elle nait dans la province de Hubei, comme la Covid-19 aujourd’hui. Elle a pour origine Yersinia Pestis transmise par la puce du rat noir.  Cette première pandémie sévit dans tout le bassin méditerranéen après avoir suivi la route de la soie. 

Elle remonte par cabotage le Rhône pour le commerce. Grégoire de Tours dans son histoire de France la signale à Arles (549) puis à Clermont Ferrand (567) parlant de la « maladie des aines ».

Elle va évoluer en une vingtaine de poussées avec une périodicité de 9 à 13 ans.

Justinien, empereur byzantin la contractera, d’où son appellation. En voie de reconquérir l’Italie, il voit ses troupes décimées par le fléau ; ce qui sera l’origine de la décadence de l’empire byzantin et de l’extension rapide de l’Islam dans la région.

En Europe, la maladie favorisera la croissance démographique de l’Europe du Nord au détriment des zones méridionales et l’essor des échanges commerciaux entre la Gaule nordique, l’Angleterre et la Scandinavie. Elle permettra de renforcer le pouvoir des rois francs.

La pandémie s’éteindra aussi spontanément qu’elle était apparue ayant fait 25 millions de morts.

  • La seconde pandémie apparaît au XIV siècle : c’est la Peste Noire

En 1346, la maladie qui fera plus de 75 millions de morts dans le monde et 25 millions en Europe débute à nouveau dans la province de Hubei. Elle traverse le continent asiatique via la Mongolie dont l’empereur assiège le comptoir génois de Caffa en Crimée. Mais son armée est décimée par cette infection bubonique. Contraint de lever le siège, il fait catapulter par-dessus les murailles les cadavres des pestiférés. Les génois reprenant leur commerce répandent l’infection sur le pourtour méditerranéen. De Marseille, la maladie gagne Avignon et atteint Paris en 1348. La transmission interhumaine entraîne la contamination de l’ensemble de l’Europe en 1351.

Dès lors coexistent 2 formes de peste : la bubonique transmise par la puce du rat noir et la pulmonaire beaucoup plus grave transmise par les gouttelettes de salive (c’est à cette dernière que l’on a attribué le qualificatif « noire » = tristesse et deuil).

C’est l’hécatombe, en quelques décennies, la peste emporte 40% de la population européenne.

L’économie est bouleversée : les salaires augmentent, le servage décline, l’agriculture se diversifie mais dans les villes le milieu artisanal est ravagé, le chantier des cathédrales est stoppé, les notables sont ruinés, les danses macabres fleurissent sur les murs des monastères.

  • Après 1400 le massacre s’interrompt mais la peste revient à intervalles réguliers tous les 10 à 15 ans jusqu’au début du XVIIème siècle. Entre 1600 et 1668, la peste touche 600 villes en France et fait 3 millions de morts.
« Un mal qui répand la terreur
   Mal que le Ciel en sa fureur
   Inventa pour venir punir les crimes de la terre,
   La Peste, puisqu’il faut l’appeler par son nom
   Capable d’enrichir en un jour l’Achéron...»
Jean de la Fontaine

En 1628, alors que Richelieu mène une campagne contre l’Empereur du St Empire Ferdinand II de Habsbourg allié au roi Philippe IV d’Espagne et au Duc Charles-Emmanuel de Savoie, son armée ne peut atteindre le Piémont arrêtée à Lyon par la peste. Mais laissons parler A. Dumas Père dans « Le Sphynx Rouge » œuvre écrite il y a un siècle et demi.

« Elle était passée de Milan à Lyon où elle faisait des ravages. On établit un cordon sanitaire autour de Vaux où elle avait éclaté ; mais la peste comme tous les fléaux a des alliés dans les mauvaises passions humaines. Elle s’adressa à la cupidité. Quelques hardes de pestiférés introduites en fraude et vendues importèrent la contagion au cœur de Lyon. On était aux derniers jours du mois de septembre. Point de variations subites dans la température. Radieuse et souriante, la nature regardait la corruption et la mort frapper à la porte des maisons. C’était au reste à ne rien comprendre au fléau tant il était capricieux. Il épargnait un côté de rue, ravageait l’autre. Comme à Marseille en 1720, comme à Paris en 1832, le peuple toujours défiant et crédule cria à l’empoisonnement. Ce n’était point comme à Paris des malfaiteurs qui souillaient l’eau des fontaines, ni comme à Marseille des forçats qui corrompaient l’eau du port. Non, à Lyon, c’étaient des engraisseurs qui frottaient d’un onguent mortel les marteaux des portes. Tout passant qui approchait par mégarde d’une porte, de son marteau ou de sa sonnette était poursuivi par un cri.

« La Grande faucheuse »   Brueghel l’Ancien

La première chose que firent les prêtres fut d’annoncer, pour qu’on ne conservât pas même l’espoir, que le fléau était le message de la colère divine. Comment n’eût-on pas eu peur ?

Plus d’amitié, plus d’amour. Les proches parents s’évitaient. La plupart des habitants restaient enfermés dans leur maison et l’oreille tendue, l’œil hagard, regardaient les passants à travers les vitres de leurs fenêtres, derrière lesquelles ils apparaissaient comme des spectres. Les gens étaient rares dans les rues, courant à grands pas, enveloppés d’un manteau qui ne laissait voir que leurs yeux. Les plus lugubres de tous étaient les médecins, dans le costume étrange qu’ils avaient inventé, serrés dans une toile cirée, montés sur patins, couvrant leur bouche et leurs narines d’un mouchoir saturé de vinaigre ; ils eussent fait rire en temps ordinaire ; en temps mortel, ils épouvantaient. Plus de riches, par conséquent plus d’argent ; plus de juges, par conséquent plus de tribunaux. Les femmes accouchaient seules, les sages-femmes avaient fui et la peste occupait tous les médecins. Plus de bruit dans les ateliers vides, plus de chants d’ouvriers au travail, plus de cris dans les rues. Partout le silence de la mort interrompu et rendu plus lugubre par le bruit de la sonnette attachée aux tombereaux charriant les cadavres.

Il y avait quatre grandes mesures à prendre, et on les prit : séquestrer chez eux les malades riches, transporter aux hôpitaux les malades pauvres, enterrer les cadavres et faire justice des misérables qui sous prétexte de soigner les mourants s’introduisaient dans les maisons pour dévaliser les moribonds. Pour séquestrer les malades on murait les portes et l’on passait la nourriture et les médicaments par la fenêtre. Les hôpitaux furent insuffisants ; on en improvisa un à la quarantaine sur la rive droite de la Saône. Il ne pouvait malheureusement contenir que 200 lits ; 4000 malades y furent entassés. Il y avait des pestiférés partout, non seulement dans les salles mais dans les corridors, les caves et les greniers.

Au milieu des cadavres entrant presque immédiatement en putréfaction, on voyait s’agiter des moribonds dévorés par une soif ardente ; d’autres dans une dernière secousse d’agonie, le visage terreux, les orbites caves, l’œil sanglant, en râlant l’air de leurs bras, poussaient un gémissement profond et tombaient morts.

Et cependant, cet effroyable hospice était envié par les misérables qui mouraient au bord des fossés. Les cadavres étaient tirés par des crocs de fer et ensevelis dans de grandes fosses qui bientôt trop pleines se mirent à fermenter.

Introduite à Lyon au mois de septembre la peste pendant 35 jours augmenta de violence, puis resta 2 mois stationnaire. Vers la fin décembre, on la crût partie et on célébra son départ par des cris et des feux de joie. Mais une grande pluie la ramena. Elle sévit de nouveau pendant les mois de janvier et février, puis diminua au printemps, se montra de nouveau en août et disparut en décembre. Elle avait duré un peu plus d’un an et avait tué 20 000 personnes ».

Alexandre Dumas Père
 



Bonaparte visitant les pestiférés A.J. Gros

« Surtout ma chère enfant ne venez point à Paris ! Plus personne ne sort de peur de voir ce fléau s’abattre sur nous, il se propage comme un feu de bois sec. Le roi et Mazarin nous confinent tous chez nous. Cela m’attriste, je me réjouissais d’aller assister aux prochaines représentations d’une pièce de Corneille dont on dit le plus grand bien.

Nous nous ennuyons un peu et je ne peux plus vous narrer les dernières intrigues de la Cour, ni les dernières tenues à la mode.

Heureusement avec ma chère amie Marie-Madeleine de Lafayette, nous nous voyons discrètement, et nous nous régalons des Fables de la Fontaine dont celle, très à propos « Les animaux malades de la peste »

« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés »

                                                                         Mme de Sévigné écrit à sa fille Pauline

  •  Au XVIIIème siècle, la peste sévit par poussées en Egypte, à Malte, au Maghreb, à Londres, Naples et même Boston (3 flambées) et à Marseille en 1720 :

« Il y a tant de malades qui nous viennent par navires. Je connais cent sortes de fièvres et c’est toujours la même chose : une grande chaleur de la peau, des plaques rouges, des plaques noires, du pus, des vomissements et on n’y comprend rien.

Rassurez-vous, pour examiner cette pouriture nous avons quitté nos habits et revêtu des blouses trempées dans un puissant vinaigre »

                                                                                                           Le médecin des pestiférés       M. Pagnol

  •  Au XIXème siècle, on la retrouve en Iran (1829-1835) puis en Chine (1894)

C’est à cette époque que le Dr Yersin, disciple de Pasteur, découvre le bacille à Hong Kong (1894).

Au XXème siècle, la peste touche de nouveau Marseille, mais aussi San Francisco et Alger et Oran (1944)

« Le mécontentement ne cessait de grandir et les autorités avaient craint le pire. Les journaux publièrent des décrets qui renouvelaient l’interdiction de sortir et menaçaient de peines de prison les contrevenants. »

« Le soleil de la peste éteignait toutes les couleurs et faisait fuir toute joie. Tous nos concitoyens accueillaient ordinairement l’été avec allégresse. La ville s’ouvrait alors vers la mer et déversait sa jeunesse sur les plages. Cet été-là, au contraire, la mer proche était interdite et le corps n’avait plus droit à ses joies. »

                                    La Peste.   A. Camus

  • En 1920, 106 cas sont dénombrés à Paris. C’est la dernière épidémie connue en France.

La maladie renaît régulièrement à Madagascar (1988 – 2013 - 2017)

« Il s’est passé tant de choses, tant de choses se sont défaits et recomposées autrement, nos sentiments, nos idées, jusqu’à la façon que nous avions de regarder, de parler, de marcher et de dormir. Quelques-uns sont morts, d’autres ont perdu la raison. Nous ne serons plus jamais les mêmes »

La Quarantaine    J.M. Le Clezio

C’est ainsi que prend fin la saga de ce fléau que fut à travers les âges la Peste.

Mais hélas nombre d’autres pandémies ont jalonné notre histoire : la Lèpre, le Choléra (100 000 décès par an), la Tuberculose (1,5 millions de morts par an), la Variole (éradiquée en 1979), la Grippe Espagnole (50 millions de morts), la Grippe Asiatique 1957 (1 à 4 millions de morts), la Grippe de Hong Kong 1968 (1 à 4 millions de morts), les Grippes Saisonnières (300 à 600 000 décès par an) et enfin le SIDA (32 millions de morts).

Notons enfin que le Paludisme et la maladie à Ebola qui font des ravages ne rentrent pas dans le cadre des pandémies.

« Quand il en meurt beaucoup, on dit que c’est la peste, et ceux qui restent meurent de peur ».         

 M. Pagnol

Mars 2021 - X. GRAPTON