La Loi Kouchner a profondément modifié la relation médecin-patient ; cependant, 20 ans après sa promulgation, le 4 mars 2002, elle reste bien souvent mal connue, parfois mal appliquée et mise récemment à l’épreuve depuis la pandémie de la Covid. De plus,
sa pratique se doit d’être améliorée dans un contexte de temps médical de plus en plus raccourci et où le numérique progresse.
Dans cet article, nous n’aborderons que brièvement les dispositions des Lois Léonetti, parties intégrantes du sujet, mais en pleine rediscussion et qui feront l’objet d’une intervention lors de notre prochain symposium.
L’Historique
La France fut pionnière dans la manière de donner des droits aux patients grâce au modèle de démocratie sanitaire issu de la Loi de 2022.
Ce texte a en effet été le fruit d’un long processus de maturation puisque les premières réflexions remontent au procès de Nuremberg sur les exactions des médecins du régime nazi portant sur « l’éthique de l’expérimentation ».
En 1988, la Loi Huret va couvrir le consentement, les dispositions administratives et les sanctions éventuelles dans la recherche biomédicale ; ainsi les essais de médicaments innovants sont désormais réalisés avec le consentement et l’information du sujet testeur. Ce sont les malades du Sida qui relanceront la réflexion en revendiquant d’être partie prenante des décisions et des soins les concernant.
La Loi de 2002 intervient aussi dans un contexte particulier des procès concernant d’une part les maladies nosocomiales et d’autre part le sang contaminé. Progressivement des aspirations nouvelles sur la dignité et la transparence émergent.
La Loi Kouchner va donc devoir répondre à ces grands défis.
En 2005 est promulguée La Loi Leonetti relative aux droits des malades et à la fin de vie. Historiquement,
27 ans avant, en 1978, le Sénateur H. Caillavet avait fait une proposition de loi relative au droit de vivre
sa mort, rejetée par le Sénat. Le texte a pour but d’éviter les pratiques de l’euthanasie et d’empêcher l’acharnement thérapeutique. Il permet au patient de demander dans un cadre défini l’arrêt
des traitements par le biais de directives anticipées ou par le recours à une personne de confiance. Dans
le même temps, la loi propose de développer les soins palliatifs avec la nécessité de préserver la dignité du patient en fin de vie. En 2016, la Loi Claeys-Leonetti clarifie les conditions de l’arrêt des traitements au nom de l’obstination déraisonnable en réaffirmant le droit du malade à bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Les directives anticipées deviennent l’expression privilégiée de la volonté du patient qui n’est plus en état de conscience afin de mourir dans la dignité.
Le 8 avril 2021 a été débattue la proposition de Loi O. Falorni sur l’assistance médicalisée active à mourir…
Il faut désormais savoir faire la différence et bien définir l’euthanasie, la sédation et le suicide assisté…
La Loi Kouchner
Elle comportait 5 titres et 12 chapitres :
- Le premier titre traitait de la solidarité envers les personnes handicapées. Le second était intitulé « Démocratie sanitaire » construite autour de trois tryptiques : droits des patients, droits des usagers, responsabilité des professionnels de santé.
Le droit de la personne recouvrait la protection de la santé, le respect de la dignité, la non-discrimination dans la prévention ou les soins, le secret
des informations, la nécessité de recevoir les soins les plus appropriés dont l’efficacité est reconnue garantissant la meilleure sécurité au regard des connaissances médicales et un suivi scolaire adapté pour les enfants hospitalisés.
- Le chapitre 2 était articulé autour des droits des usagers comprenant :
① l’information de ces derniers et l’expression de leur volonté. Ainsi toute personne doit être informée de son état de santé et sur les frais auxquels elle pourrait être exposée dans le cadre de la prévention, du diagnostic et du soin. Toute personne prend avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et préconisations qui lui sont fournies, les décisions sur sa santé (consentement libre et éclairé). Le mineur peut s’opposer à la consultation de ses parents pour les décisions médicales le concernant afin de garder le secret sur son état de santé. Tout majeur peut désigner une personne de confiance et toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé incluant les conditions d’accès des ayants droit.
② La création des commissions d’usagers dans tout établissement de santé public ou privé ayant pour mission de veiller au respect des droits des usagers, d’améliorer la qualité de l’accueil des malades et de leurs proches et de leur prise en charge. Elles veillent le cas échéant à ce qu’ils puissent exprimer leurs griefs auprès des responsables de l’établissement.
- Dans le chapitre 3, les associations agrées de patients et d’usagers du système de santé sont officiellement reconnues comme acteurs de la santé pour l’assistance psychologique, le relai d’informations, le soutien à la réinsertion sociale, les campagnes médiatiques sur la recherche médicale et elles sont représentées dans les instances hospitalières ou de santé publique.
- Le chapitre 4 traite de la responsabilité morale et juridique des professionnels de santé.
- Les chapitres 5 et 6 sont dédiés à l’orientation politique de la santé et à son organisation régionale (10 articles).
- Le titre III s’intitule : « Qualité du système de Santé »
Ses chapitres 1 à 3 abordent le renforcement des obligations de compétence et de déontologie des professionnels de santé avec en particulier la nécessité d’une FMC (art 45 à 78) ; mais également la mutualisation et la coopération de tous les acteurs de santé avec la formation de réseaux (chap. 5). Une politique de la prévention (chap. 4 art. 79 à 83) et prônée ainsi que la promotion de la santé.
- Le titre IV a pour objet la répartition des conséquences des risques sanitaires ouvrant la voie amiable de résolution des litiges médicaux. Le dispositif repose sur l’obligation faite aux professionnels de santé libéraux mais aussi aux établissements de santé de contracter une Assurance Responsabilité Civile.
Il repose ensuite sur la création de trois structures :
• les CRCI aujourd’hui CCI, Commissions de Conciliation et d’Indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
• la CNAM Med (Commission Nationale des Accidents Médicaux)
• l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux)
Vingt ans après
Une enquête a été menée par le CNOM auprès de 1046 médecins (36% MG, 53% Libéraux purs, 48% ayant exercé avant la Loi Kouchner) et 930 patients (62% femmes, 60 ans d’âge moyen) ; en voici les résultats :
- La Loi Kouchner est connue de 94% des médecins et de 46% des patients. Tous souhaitent mieux la connaître.
- Si le secret médical est une notion acquise pour tous, ses dérogations légales sont ignorées pour 24% des médecins et 44% des patients.
- L’accès des ayants droit aux données d’un patient décédé est méconnu de 55% des médecins.
- L’échange de données médicales entre médecins sur un patient commun ne pose aucun problème, mais 67% pensent qu’ils peuvent le faire pour un patient non commun. 94% des médecins savent que les patients peuvent s’opposer aux échanges pour des patients communs mais seulement 45% des patients ont connaissance de cette possibilité.
- Le droit du patient d’être informé sur son état de santé est une notion bien maîtrisée par tous.
- Cette information est transmise majoritairement à l’oral, toutefois la traçabilité des informations doit être obligatoire aux yeux des patients (97%).
- Le consentement libre et éclairé est recherché par 86% des médecins et 81% des patients ont signé un document de consentement pour un acte technique.
- 12% des médecins ne transmettent pas leur dossier médical au patient, en majorité les MG puis les psychiatres, les anesthésistes… Il y a davantage de difficulté pour le patient à obtenir son dossier des établissements de soin.
- 43% des médecins ignorent qu’il y a un délai pour transmettre un dossier au patient, 71% de ceux-ci l’ignorent également.
- 67% des médecins savent que leurs notes personnelles ne sont pas à communiquer, 17% des patients ont cette notion.
- Quant aux comptes rendus, 71% des médecins communiquent les leurs, 34% ceux de leurs confrères ; 80% des patients reçoivent leurs comptes rendus mais 73% ne les réclament pas.
- 95% des médecins libéraux affichent leurs honoraires et leur secteur d’activité, principalement en salle d’attente 58%, sur site 34%.
- La notion de tact et mesure dans la fixation des honoraires est méconnue de 75% des patients.
- 85% des médecins ont été confrontés à une interruption de soins de la part du patient dont 68% en ont été avertis.
- 93% des médecins ont été confronté à des refus de soins en en gardant la trace sur le dossier.
- 95% des médecins et 85% des patients connaissent le rôle de la personne de confiance.
- 71% des patients en ont désigné une mais 41% des médecins ignorent qui.
- 69% des médecins et 82% des patients considèrent l’accès aux soins des personnes handicapées difficile. La présence d’un tiers aidant pendant la consultation d’une personne handicapée est souhaitable (92% / 69%) et cela ne pose pas de problème pour le secret médical (59% / 69%)
- 22% des médecins n’abordent jamais la notion d’autorité parentale lors d’une situation de parent seul ou séparé d’enfant mineur.
- 72% des médecins estiment qu’il est difficile de proposer de voir un mineur seul si nécessaire mais ignorent (83%) le droit de ce dernier de s’opposer à la consultation accompagnée de ses parents.
- 90% des médecins ne consultent jamais la liste des associations agrées d’usagers.
- La notion de patient-expert est méconnue de 59% des médecins.
- 73% des médecins considèrent que la responsabilité juridique du médecin est de plus en plus recherchée par les patients mais ceux-ci connaissent assez mal les procédures d’indemnisation des dommages médicaux (17%). 86% des médecins connaissent la notion d’aléa thérapeutique vs 31% des patients.
Synthèse et perspectives
Information, consentement, choix éclairé, droit à la décision, accès au dossier, participation aux politiques de santé… la Loi Kouchner a impacté la relation médecin-patient et 57% des médecins estiment qu’elle a même changé leur exercice en particulier leur rapport avec le malade, or ce dernier pense qu’elle n’y a apporté aucune modification. Cependant dans un contexte où notre temps médical s’est réduit, où notre marge de discussion et de décision a diminué, où la télémédecine est entrée dans les mœurs de notre quotidien, médecins et patients sont majoritairement revenus aux fondamentaux du lien qui les unit dans cette relation si particulière qu’aucune loi ne peut totalement régir. Ce sont l’écoute, la bienveillance, l’humanité, le respect, le dévouement et la confiance.
- Dans cette étude, on note qu’une seule moitié des patients a la connaissance des principes de la loi.
Si le secret médical est connu des professionnels et du public, ses dérogations légales sont méconnues d’¼ des médecins. Le droit d’être informé sur son état de santé est une notion bien maitrisée par chacun mais la transmission de l’information donnée principalement oralement manque de traçabilité. De même la transmission du dossier médical n’est effectuée que dans 88% des cas et dans des délais beaucoup trop longs. Concernant la notion de tact et mesure, elle est perçue comme non concrète par les deux parties. Le consentement libre et éclairé est un dogme bien établi à l’origine d’une relation médecin-patient mieux équilibrée. Il est tracé dans 68% des cas, quant à l’interruption de soins ou son refus, il est inscrit majoritairement dans le dossier, mais il faut insister sur l’importance pour le patient d’en aviser le médecin car ce dernier reste tenu d’obligations envers ce patient (il lui doit instamment une information sur les risques encourus par l’arrêt d’un traitement). La notion et le rôle de la personne de confiance ne sont pas suffisamment connus de même que les conditions de prise en charge des mineurs. Enfin, la méconnaissance des associations agrées d’usagers utiles dans le partenariat fait défaut.
La téléconsultation n’emporte pas tous les suffrages auprès des médecins comme des patients sur la relation médecin-malade. 71% des patients
et 67% des médecins s’accordent sur le fait qu’elle a modifié voire dégradé une relation préalablement privilégiée.
- Dans l’avenir quelques pistes s’imposent :
• Il est souhaitable de placer ou replacer l’information quant à cette loi au sein des études médicales, mais également grâce au compagnonnage, les plus anciens accompagnant sur le terrain les plus jeunes.
• Une meilleure connaissance de la Loi passe également par le biais des associations de patients à mieux connaître des praticiens et dont la place grandissante doit être définie.
• Un malentendu subsiste autour du rôle de la personne de confiance et sur sa modalité de désignation ; de même sur les conditions de prise en charge des mineurs. Ces deux points doivent être éclaircis.
• Les recommandations de bonnes pratiques et les guides de parcours de soins doivent donner un rôle plus important aux patients-experts qui par leur compétence et leur formation acquièrent une légitimité dans ce domaine.
• Pour une meilleure sécurité et confidentialité la Loi Kouchner doit être transposée au mieux au domaine numérique puisque ce mode de relation va perdurer.
• Il est important de redonner une information quant aux dérogations légales au secret médical et réaffirmer qu’aucun secret médical concernant ses données médicales n’est opposable au patient de son vivant.
- Au milieu de toutes les tâches administratives incombant au médecin, il faut accorder du temps à la tenue du dossier médical, outil de traçabilité (à conforter), de continuité des soins dont le médecin a la responsabilité et non la propriété.
- La notion de tact et mesure est à redéfinir
- Il faut former les médecins sur les mesures de protection juridique.